Une interview avec Yoko Shimomura et Kenji Ito: Partie 1

Par Square Enix Team

Lors de notre dernier séjour au Japon, nous avons eu la chance de pouvoir interviewer deux légendes de la musique de jeu vidéo: Yoko Shimomura et Kenji Ito. Ces vétérans sont plus connus pour leur travail sur la série Kingdom Hearts (Shimomura) et Saga (Ito) et ont répondu à nos questions sans langue de bois, mais toujours avec le sourire.

Shimomura-san, Ito-san, merci de nous accorder un peu de votre temps pour cette interview, nous vous sommes très reconnaissants! Commençons sans plus tarder :

Q1 : Quel est votre compositeur de musique de jeu préféré et pourquoi?

Kenji Ito: (se tournant vers Shimomura) Ok, c’est toi qui ouvre le bal! (Rires)

Yoko Shimomura: Comment ça?! Hmmm ce n’est pas évident…

Bon, ce ne serait peut-être pas mon tout premier choix mais c’est grâce à Koji Kondo, compositeur de la série Super Mario, que j’ai voulu travailler dans l’industrie en premier lieu. Sans aller jusqu’à dire que sa musique n’a pas d’égal je pense qu’il a donné ses lettres de noblesses au genre et j’éprouve un grand respect pour lui.

Il y a beaucoup de compositeurs que j’apprécie en tout cas !

Kenji Ito : Il y a beaucoup de gens de talent dans le milieu, mais celui qui m’a le plus marqué est Hajime Hirawasa, responsable des musiques de Starfox. J’ai été très impressionné par son travail.

Q2 : Après toutes ces années passées à composer de la musique, comment faites-vous pour vous renouveler ? Avez-vous un rituel ou des petites habitudes, peut-être un endroit ou un objet en particulier qui vous inspire ?

Shimomura : J’aime beaucoup voyager et bien que je n’aie pas de destination favorite, je suis souvent inspirée lorsque je sors du train-train quotidien. Je continue de m’émouvoir des petites choses de la vie mais mon secret, ce qui me fait aller de l’avant et me pousse vraiment à garder ma motivation, c’est d’échapper à cette réalité que ce soit lors de mes voyages ou simplement en lisant un roman.

Ito: Je suis très inspiré par les comics. J’aime énormément les ouvrages de Tsukasa Hojo, comme par exemple «The Rose of Versailles » ou encore «Angel Heart» paru plus récemment. Les comics sont dépourvus de bande-son, aussi je m’imagine souvent quel genre de musique pourrait accompagner certaines scènes et je les visualise. Il arrive souvent que je me serve de ces idées pour mes compositions.

Q3: Quelle est votre plus grande réussite, la chose dont vous êtes le plus fiers en tant que compositeurs?

Ito : Il y en a beaucoup. Si je repense à mes débuts, je dirais sans doute Seiken Densetsu (« Legend of the Holy Sword », le tout premier jeu de la série Mana, jamais publié en Europe). Je n’avais que 22 ans à l’époque et c’était la première fois que je me trouvais aux commandes de la bande-son d’un jeu dans son intégralité. Le fait de composer le thème principal puis toutes les pistes basées sur l’histoire en allant jusqu’à les produire a été très bénéfique pour ma carrière.

Shimomura : Chaque fois que j’achève quelque chose j’éprouve toujours un certain soulagement et je me dis : « Ça, c’est fait ! ». Street Fighter II était plutôt éprouvant mais dès que le travail sur un jeu est terminé il faut tout de suite passer au suivant. Lorsque j’ai fini de composer pour Super Mario RPG, j’ai pris environ 3 mois de vacances. Je n’avais cessé d’enchaîner les projets jusque-là avec Live A Live (jamais sorti en Europe), Front Mission et Mario RPG ; comme il s’agissait du dernier titre de la Super Nintendo sur lequel j’ai travaillé, il y avait un vrai sentiment d’accomplissement, quelque chose touchait à sa fin. J’ai donc décidé de m’accorder une longue pause et mes congés ont commencé pendant l’hiver mais lorsque je suis revenue au bureau, les cerisiers étaient déjà en fleurs_ ! (_Printemps au Japon)

J’ai beaucoup voyagé pendant tout ce temps et cela m’a permis de rester motivée.

Q4 : Y a-t-il une musique en particulier que vous auriez préféré ne jamais avoir composée ? Quel est votre pire ouvrage selon vous et pourquoi ?

Ito : On ne parle pas d’un jeu en particulier n’est-ce pas ? Je pense que les œuvres que l’on compose sont ce qu’elles sont. Supposons qu’il y ait certaines pistes dont je ne sois pas satisfait, les fans aiment les jeux dans leur ensemble et ces compositions en font partie intégrante, aussi  je ne ressens pas le besoin de revenir en arrière pour apporter des changements.

D’un autre côté, lorsque je produis des albums réarrangés ou altérés de mes anciens travaux, je reste conscient de la possibilité d’affiner et de perfectionner ces musiques.

Shimomura : Ha, voilà des arguments pertinents ! Je ne peux pas ajouter grand-chose de plus, si ? (rires)

Les morceaux passés sont une fin en soi et je n’ai donc aucun regret. Si j’éprouve parfois des remords cela est plus souvent dû au fait que j’aurais souhaité m’appliquer davantage plus tôt ! (rires)

**

**

Q5 : Un génie vous donne la possibilité de complètement changer de vie pour un mois et vous pouvez choisir n’importe quelle profession, que feriez-vous ?  

Shimomura ** **: Je n’y avais jamais pensé. Vous voyez, c’est que je n’aime pas vraiment travailler… (rires). Je crois que la seule raison qui me pousse  à continuer est que je fais quelque chose que j’aime. 

… Pendant un mois hein ? Je pense que je passerais juste mon temps à m’amuser ! (rires)

Ito : J’aimerais partir en tournée mondiale pour une série de concerts acoustiques. Je constituerais un petit groupe avec moi au piano et 3 ou 4 autres membres au violon, à la guitare... Nous jouerions principalement des ballades en commençant par le Japon puis ensuite donnerions des représentations aux quatre coins du globe. En parlant de piano justement, j’aimerais vraiment composer quelque chose dans la veine d’André Gagnon.

Q6 : Quel est le type de morceaux que vous préférez composer ? (Thème principal, de combat, de ville/village…) ?   

Shimomura : Hmm, voyons-voir… Je pense que cela dépend du type de jeu sur lequel je travaille mais j’apprécie généralement les musiques d’exploration et de terrain. Il semblerait que les fans soit plus portés sur les thèmes de combats en revanche ! (rires)

Ito : J’aime faire de la musique événementielle, surtout pour des séquences poignantes. Je prends plaisir à composer des morceaux qui font ressortir les émotions, lors des scènes tragiques évidemment mais aussi pour ces moments de joie intense, lorsque les personnages sont réunis avec des êtres chers, ce genre de choses.

Q7 : Y a-t-il quelque chose que vous n’avez pas encore accompli et qui trotte toujours dans un coin de votre tête ?

Ito : J’aime tout ce qui a trait à la guérison et au bien-être individuel et pas seulement dans le cadre de la musique. J’aimerais vraiment être en mesure de procurer ce genre de thérapie holistique aux gens,  pas seulement à travers la musique mais aussi par le biais de la nutrition et pourquoi pas certains exercices…

Peut-être sous la forme d’un programme d’enrichissement personnel ou un centre de réhabilitation pour les personnes âgées.   

Shimomura : Cela n’arrivera peut-être jamais mais j’aimerais vraiment produire un best-of combinant l’ensemble des jeux auxquels j’ai participé, tous éditeurs et développeurs confondus, afin de regrouper l’ensemble de mon travail. Il y aurait vraiment tout, des pistes que j’ai composées il y a fort longtemps et qui me font un peu rougir maintenant à des morceaux plus originaux issus de nouveaux opus.

Q8 : Voyez-vous toujours les limitations techniques comme un obstacle à votre travail ou pensez-vous qu’elles peuvent être bénéfiques ? Vous sentez-vous parfois un peu nostalgiques des débuts où les banques de son et la technologie midi étaient rudimentaires ?

Ito : Ces limitations ont eu un impact certain sur moi. Je compose de la musique depuis l’ère de la Gameboy et à l’époque il n’y avait que trois niveaux de son disponibles : un pour la mélodie principale, un pour la basse et un pour les arrangements. J’étais déjà pianiste lorsque j’ai débuté et je connaissais donc certains classiques mais je n’avais encore rien étudié de spécifique en matière de théorie musicale, comme par exemple les harmoniques… Devoir apprendre à maîtriser toutes ces techniques au fur et à mesure du processus de composition s’est avéré plutôt brutal mais également très profitable. C’était une bonne expérience mais je ne pense sincèrement pas que je prendrais plaisir à revivre ça ! (rires)

Shimomura: Je compose également depuis l’ère des 3 niveaux de son et je me rappelle avoir été réellement impressionnée par les capacités sonores uniques de la Super Nintendo. Le processeur de la NES (PSG) a été utilisé pour créer des « cheap tunes » et il y a beaucoup d’artistes qui essaient de composer de la musique renvoyant à cette époque mais peu d’entre ont tenté d’émuler la Super Nintendo. Cette dernière avait une configuration bien à elle avec huit strates de son dont deux dédiées aux effets et avec les six restantes pour travailler, cela a permis d’obtenir un rendu plus réaliste même si le tout manquait encore un peu de naturel.

J’ai adoré cette époque et j’y ai beaucoup appris mais je ne remettrais pas le couvert non plus ! (rires). Nos conditions de travail actuelles sont vraiment optimales mais je ressens parfois un peu de nostalgie et garde de très agréables souvenirs de ces temps plus simples.

Q9 : Pouvez-vous brièvement décrire votre processus de composition depuis les premières notes jusqu’au résultat final ?

Shimomura :Cela dépend du type de morceau. Parfois je ne pars de rien et je m’assois juste au piano pour y expérimenter jusqu’à ce que quelque chose se dégage et que je me dise : « oui, cette ligne pourrait fonctionner ». D’autres fois, je ne touche pas du tout au piano et tout me vient naturellement avec la structure en place du début jusqu’à la fin. Le procédé varie donc à chaque fois, je n’ai pas une méthode à laquelle je recours systématiquement.

Ito : Je commence toujours par demander au client quel genre d’images et de sensations il a à l’esprit. Cela peut provenir d’autres jeux, de films ou même de chansons mais j’essaie toujours de faire en sorte qu’il me donne une idée du type de musique qu’il recherche. La plupart du temps ils désirent simplement que je compose quelque chose « à la Ito » mais quand je m’exécute, ils reviennent souvent me voir pour me dire que c’est beaucoup trop pesant et dramatique ! (rires)

Nous espérons que cette interview vous a plu !

Pour toutes les informations concernant nos bandes-son et autres produits dérivés, rendez-vous ici : (http://www.square-enix-boutique.com/)

La semaine prochaine, nous diffuserons la seconde partie de l'interview !

Partager